Warketing

   



La Guerre festive du Tous contre Tous



«La manipulation consciente, intelligente, des opinions, et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays. Nous sommes pour une large part gouvernés par des hommes dont nous ignorons tout, qui modèlent nos esprits, forgent nos goûts, nous soufflent nos idées. C’est là une conséquence logique de l’organisation de notre société démocratique. Cette forme de coopération du plus grand nombre est une nécessité pour que nous puissions vivre ensemble au sein d’une société au fonctionnement bien huilé.»

Edward Bernays, Propaganda















Tout commence alors en 1913, Edward Bernays, neveu de Sigmund Freud, né américain va mettre au point une des innovations des plus influentes, mutagène et désastreuse du capitalisme : ce qu’il appellera le conseil en relations publiques. En cette année Edward Bernays travaille pour la medical revue of reviews, et il y publiera une critique élogieuse d’une pièce de théâtre. Cette pièce contant l’histoire d’un homme contractant la syphilis sans le révéler à sa femme qui accouchera d’un enfant portant la même maladie, montra à Bernays que le tabou des discussions autour des maladies sexuellement transmissible (encore très virulent à cette époque) pouvait être brisé en déplaçant le cadre dans lequel le problème était communiqué. La même année un acteur réputé Richard Bennett s’engage à monter la pièce mais redoute l’opposition farouche des organismes conservateurs. Bernays s’engage alors auprès de Bennett à faire jouer la pièce et même à prendre en charge les coûts de sa production. Pour y parvenir, il va inventer une technique qui reste une des plus courantes et des plus efficaces des relations publiques, une stratégie qui permet de transformer ce qui paraît être un obstacle en une opportunité et de faire d’un objet de controverse un noble cheval de bataille que le public va, de lui-même, s’empresser d’enfourcher. La technique qui permet une telle métamorphose de la perception qu’a le public d’un objet donné consiste à créer un tiers parti, en apparence désintéressé, qui servira d’intermédiaire crédible entre le public et l’objet de la controverse et qui modifiera la perception qu’il peut s’en faire. Le jeune Bernays va mettre en place un fonds d’aide le sociological fund comitee du medical review of reviews. Des centaines de personnalités éminentes et respectées vont payer pour faire partie de cet organisme et leurs cotisations vont permettre à Bernays de tenir sa promesse de faire jouer la pièce, désormais perçue comme une méritoire œuvre d’éducation publique sur un sujet de la plus haute importance. Plus tard Bernays travaillera dans le milieu du spectacle essayant de promouvoir des chanteurs d’opéra ou encore des ballets russes peu prisés par la population américaine, qui se transformera alors en boulimique de ces mêmes spectacles fussent-ils promus par le jeune neveu de Freud. Ces efforts lui donnent l’occasion de raffiner ses stratégies et de déployer de nouvelles techniques par lesquelles la publicité emprunte des voies restées jusque-là inexplorées. En particulier, au lieu de simplement décrire en les vantant les caractéristiques d’un produit, d’une cause, ou d’une personne, cette nouvelle forme de publicité, qu’on est tenté de décrire comme étant d’inspiration freudienne, les associe à quelque chose d’autre que le public, croit Bernays, ne peut manquer de désirer. Le travail qu’il accomplit en 1915 en faveur des Ballets russes en tournée aux États-Unis donnera une idée de l’habileté de l’homme à cet exercice. La vaste majorité des Américains ne s’intéresse alors guère au ballet et a plutôt un préjugé défavorable à son endroit. Pour le transformer en attitude positive, Bernays va s’efforcer de relier cet art à des choses que les gens aiment et comprennent. Dès lors, l’énorme campagne de publicité qu’il met en œuvre ne se contente pas de transmettre aux journalistes des communiqués de presse, des images ou des dossiers sur les artistes : elle vante dans les pages des magazines féminins les styles, les couleurs et les tissus des costumes qu’ils portent; elle suggère aux manufacturiers de vêtements de s’en inspirer; elle veille à la publication d’articles où est posée la question de savoir si l’homme américain aurait honte d’être gracieux; et ainsi de suite, avec le résultat que la tournée des Ballets russes connaîtra un extraordinaire succès et qu’elle ne sera pas terminée qu’on en annoncera une deuxième — tandis que de nombreuses petites américaines rêvent de devenir ballerines.















WARKETING  Réflexions autour de la guerre festive du tous contre tous :



"Il y a une vulgate Freudienne qui fait dire à la majorité des gens que ce que dit Freud sur la libido c'est : "tout est sexuel." Cela est faux. Ce que dit Freud c'est : "la libido est le pouvoir de désexualiser la sexualité". La sexualité n'est pas un attribut humain, les chenilles ont une sexualité, mais la libido est quand à elle proprement humaine. La libido donne le pouvoir aux humains de transformer la pulsion sexuelle en un investissement amoureux. Le désir n'a pas d'objets fixes, il renouvelle ses objets en permanence mais s'y attache. Cet attachement passe par une infinitisation de ces objets, ce que Freud appela "l'idéalisation des objets". Les objets du désir deviennent alors incomparables, l'amour pour eux est incalculable. C'est cette infinitisation qui est détruite, par la transformation consumériste à travers le marketing, du désir en un instrument de vente. La markétisation du désir conduit inévitablement à sa calculabilité et donc à une déceptivité des objets du désir, tandis que pour contrôler les comportements des consommateurs, on va se servir des industries culturelles qui vont conditionner la réceptivité aux nouveaux produits et faire qu'ils satisfassent efficacement le retour sur investissement."

Bernard Stiegler, conférence Iségoria, 2009



Le modèle économique dominant repose sur cette machine de remplacement efficace des objets du désir laissés au stade pulsionnel de l'inconscient. Le consommateur ainsi utilisé à jeter régulièrement ce qu'il a été auparavant poussé à vouloir (selon les logiques combinées de l'innovation et de la destruction créatrice) se sent, à son tour, jetable dans la société.







Les origines du psychopouvoir, les recherches de sa puissance effective, ses théorisations, l'impunité et l'inconscience de ses acteurs ont participé au fil des décennies à établir une structure qui dépasse complètement les questionnements et les référencements éthiques aux échelles de responsabilités. "Nous sommes tous concernés par le dérèglement climatique, nous en sommes tous les responsables, il faut que chacun fasse un geste". Epanchement pathétique et humaniste des tombeurs de rideaux qui oublient un peu vite que l'obsolescence programmée fut régulièrement conçue dans des arrières-salles de grenelles par des cartels industriels. Comme ils oublient à bon compte aussi que les passages à l'acte désespérés ne sont que manifestations de la crise du désir trop exploité par la machinerie consumériste. La maquette racoleusement dégradante d'un "détective magazine"  qui titre en une le massacre de quatre enfants par leur mère excédée d'une vie qu'elle n'a pas voulu pour elle comme pour eux, rivalise en ce sens de stupidité immorale et coupable avec ce PDG qui affirme qu'il ne comprend pas qu'il y ait eu quatre suicides en un mois dans la filiale de son groupe irréprochablement doté d'un cadre social hors-pair. Investissement du capital, spéculations, opérations financières, manœuvres boursières, achat et vente de marchandises sont l'équivalent d'un désormais séculaire rite  religieux qui châtie et culpabilise plus qu'aucuns de ses prédécesseurs structurels. "Premièrement, le capitalisme est une religion purement cultuelle, peut-être la plus extrêmement cultuelle qu'il y ait jamais eu. Rien en lui n'a de signification qui ne soit immédiatement en rapport avec le culte, il n'a ni dogme spécifique ni théologie. L'utilitarisme y gagne, de ce point de vue, sa coloration religieuse."* Ce culte "sans trêves et sans merci" s'adapte à tous types de dogmes sans toutefois être libre de séquelles et d'effets à retardement sur la vie de ceux qui le subissent. Des plaines fumantes et noires pavées d'autels maléfiques de la consommation réalisée du monde, au cri d'un des milliers de contremaîtres d'une usine chinoise qui donne ses ordres de bonheur et d'effectivité aux ouvriers dont il a la charge, le recouvrement de toutes les activités humaines par le spectre terrifiant d'un modèle qui prouve déjà ses limites réelles emporte avec lui esclavagisme et désespoir, matérialisme et régression. Black & Grey marketing d'e-commerce, ambush marketing, wait marketing, cybersquatting, brand switching, lead nurturing, lead scoring, benchmarking stratégique, white & black Hat SEO, scraping, … l'inexhaustivité inhérente de la liste des moyens d'agression tactiques des bataillons des relations publiques est à l'image de l'ampleur de l'utilisation de "raisons" scientifiques dans le déploiement de leurs différents laboratoires sur l'humain. La barbarie de leur nom ne reflète quant à elle que la sauvagerie de leurs principes, le départ d'une situation de crise aussi fulgurant que le rachat des ressources planétaires à la bourse. Ces activités de l'entreprise d'aujourd'hui en sont les moteurs profonds, l'entreprise n'est alors qu'une machine à tuer, le collectif déconstruit et rematérialisé n'est entrepris que comme ce qui fait désormais association et qui détermine ce que certains tenants aiment à affirmer : tout est entreprise. (au sens libéral de l'entreprise)  Les "corporations" maladroitement traduites par sociétés en français, ne sont que ce qu'elles désignent : une tendance fasciste intrinsèque à leurs métabolismes, conglomérant le monde du marché comme Benito Mussolini aurait aimé le voir : autoritaire et omnipotent.

*le capitalisme comme religion, Walter Benjamin 1921





Loin des mythologies Holywoodiennes nous pensons que 2012 n'est pas l'année de la Fin mais l'année de tous les débuts. Le début d'une citoyenneté retrouvée qui s'active dans tous les endroits où il est possible de la trouver, collectifs autodéterminés de lutte contre la misère, associations libertaires, coopératives qui défient l'utilité de l'Etat et qui prouvent leur efficacité dans ce contexte d'urgence. Dans de nombreux pays européens cette culture de l'entraide est traditionnelle, dans d'autres, elle devra se faire par la force du temps et des motivations.

 Stratégies dialectiques et propagande de modes de vie illusoires et toxiques, le marketing spectaculaire omniprésent fut créé au début du XXème siècle afin de lutter contre la baisse tendancielle du taux de profit et la surproduction. Il lia alors la perception des marchandises aux désirs inconscients de ceux qu'il nommera plus tard des consommateurs pour qu'ils puissent participer à une croissance vue comme infinie et seul facteur d'orientation politique. Dès la sortie de la Seconde Guerre Mondiale, le marketing a imposé ses schémas comme mode de communication dominant, s'est déjà implanté dans tous les domaines de la vie publique et lança les-dites Trente Glorieuses.

Nous sommes en 2012 et tandis que les banquiers internationaux amènent des populations entières dans une misère matérielle inexorable, la consommation heureuse fait partie de l'Histoire ancienne. Les mises à jour des techniques de marketing s'élaborent dans des laboratoires de recherche d'applications cognitives et sensitives, considérant l'esprit comme simple machine pulsionnelle à profit, ils sont toujours plus enclins à binariser les conceptions que l'on se fait du monde qui nous entoure, à stériliser les utopies pour pouvoir contrôler toujours un peu plus ce que nous pensons et faisons.

Parce qu'en discutant ensemble, nous luttons déjà contre cette pseudo-fatalité, parce qu'en actionnant ces alternatives nous prenons l'avantage sur lui, et parce qu'en s'organisant et en déterminant nos objectifs ensemble et en marge des structures du pouvoir, il appartient de fait au passé.


Neuromarketing, étude des réactions synaptiques aux stimulis exterieurs















Tentatives de réappropriation de l'espace visuel commun 



Bibliographie

Giorgio Agamben, Qu’est-ce qu’un dispositif? Payot rivages 2009
Giorgio Agamben, Qu’est-ce que le contemporain? Rivages poche/Petite Bibliothèque, 2008.
Giorgio Agamben, Profanations, Payot rivages 2009
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Edward Bernays, Propaganda, Zones, 2007
Gilles Châtelet, Vivre et penser comme des porcs, folio actuel 2007
Noam Chomsky, Comprendre le pouvoir Tomes 1, 2 et 3, Aden 2008
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Les Désobéissants, Désobéir à la PUB, le passager clandestin 2009
Le Comité Invisible, L’insurrection qui vient, La Fabrique 2007 
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Gustave Lebon, Psychologies des foules, essai 1895
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Bernard Stiegler, La télécratie contre la démocratie, Flammarion 2006
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Bernard Stiegler, Economie de l’hypermatériel et psychopouvoir, Mille et une nuits 2008
Bernard Stiegler, Passer à l’acte, Galilée 2003
Bernard Stiegler, Ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue, de la pharmacologie. Flammarion 2010
Bernard Stiegler, États de choc, Bêtise et savoir au XXI siècle, Essai Mille et une nuits 2012
Tiqqun, Contributions à la guerre en cours, La Fabrique éditions 2009
Tiqqun, Théorie du Bloom, La Fabrique éditions 2004
Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis : de 1942 à nos jours, Broché 2003
Slavoj Zizek, Après la tragédie, la farce! ou Comment l'histoire se répète, Champs essais 2011